De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles

En septembre 2023, les deux jeunes bretilliens Alexandre Crouzat et Dylan Garancher créent l’association « De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles », inspirés par leur parcours respectif. L’objectif affiché est double : d’une part, agir en faveur de l’égalité des chances au sein du département de l’Ille-et-Vilaine, d’autre part contribuer au développement de ce territoire. Près d’un an et demi après son lancement, retour sur ce projet mûri par la réflexion et l’expérience.

1/ La réalisation d’une certaine égalité des chances est au cœur de votre projet associatif. À cet objectif, vous en associez un autre, celui de contribuer au développement du département qui vous a vu grandir, l’Ille-et-Vilaine. Qu’est-ce qui vous a poussé sur la voie de cet engagement, bénévole et exigeant ?

Notre engagement repose d’abord sur le constat, nourri de nos propres expériences, d’un immense gâchis de talents. Malgré de très bons résultats au bac, de nombreux jeunes issus des territoires ruraux et des villes moyennes renoncent à des études supérieures ambitieuses ou se censurent dans leur choix d’orientation. Un rapport de l’Institut des politiques publiques de 2021 révèle ainsi qu’un lycéen parisien a en moyenne trois fois plus de chances d’intégrer une classe préparatoire ou une grande école qu’un élève non francilien[1].

Même en Ille-et-Vilaine, pourtant relativement favorisée par rapport à d’autres départements, l’accès aux filières sélectives traduit des disparités géographiques importantes. L’essentiel des classes préparatoires et grandes écoles bretilliennes sont en effet concentrées dans la métropole rennaise, creusant ainsi les écarts avec les élèves des lycées situés en périphérie du département. Malgré leur proximité géographique apparente, ces élèves entretiennent parfois un rapport culturel plus distancié vis-à-vis de ces filières sélectives que leurs homologues rennais, ce qui conduit certains à s’en détourner en dépit d’excellents résultats. 

Cette problématique revêt des enjeux très concrets pour le département, qui dépasse de loin la seule question de l’égalité des chances. En privant ces jeunes de perspectives d’excellence, non seulement nous renonçons à leur offrir les moyens de réaliser leur potentiel, mais nous perdons chaque année de nombreux talents qui pourraient contribuer au dynamisme et au rayonnement de l’Ille-et-Vilaine.

Selon nous, il existe ainsi des freins géographiques spécifiques à l’accès des jeunes ruraux aux filières sélectives de l’enseignement supérieur, qui justifient une approche particulière associant le combat pour l’égalité des chances au resserrement des liens avec le territoire d’origine. C’est pourquoi nous avons choisi de donner cette impulsion depuis le territoire même où nous avons grandi et auquel nous sommes profondément attachés, dans le cadre de l’initiative nationale Des Territoires aux Grandes Écoles (DTGE). Nous voulons montrer aux jeunes bretilliens qu’ils ont toutes les clés pour réussir dans des parcours d’excellence, tout en mettant en valeur le potentiel considérable de notre département.

 

2/ Le combat de la justice sociale prend les formes les plus variées et nombreux sont les acteurs qui y concourent, notamment dans le champ des inégalités scolaires. Dans ce domaine, au demeurant largement investi par les politiques publiques, votre action se distingue-t-elle particulièrement d’autres interventions similaires ? Quelle contribution ou quel avantage supplémentaire pensez-vous présenter relativement aux acteurs éducatifs traditionnels ?

Il est vrai que de nombreuses initiatives existent pour promouvoir l’égalité des chances, notamment en Ille-et-Vilaine. Ces initiatives s’inscrivent généralement dans le cadre des « cordées de la réussite », un dispositif placé sous l’égide du préfet de Bretagne et du recteur de l’Académie de Rennes et généralisé depuis 2020 à l’ensemble des élèves de 4e à la terminale de la région. Les « cordées » visent à mettre en relation un établissement du supérieur (CPGE, grande école ou université) avec un collège ou un lycée, et à mettre en œuvre des actions très diverses de sensibilisation et d’orientation.

L’approche que nous avons retenue au sein de l’association De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles est un peu différente. D’abord, notre objectif n’est pas tout à fait le même puisque nous assumons une orientation davantage tournée vers les filières sélectives et les parcours d’excellence de l’enseignement supérieur, là où les autres initiatives font la promotion des cursus de l’enseignement supérieur au sens large. 

Ensuite, les « cordées de la réussite » adoptent une approche « par établissements », ce qui peut limiter leur capacité à répondre aux aspirations individuelles des élèves, notamment ceux qui envisagent des parcours en dehors de l’académie ou dans d’autres filières que celle de la cordée. A l’inverse, notre démarche part du projet de chaque élève pour proposer un accompagnement adapté, prenant en compte les difficultés et les ambitions propres à chacun.

A dire vrai, nous considérons nos actions comme étant davantage complémentaires que concurrentes. Qu’il s’agisse des « cordées de la réussite ou De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles, nous poursuivons ensemble le même objectif d’égalité des chances au service des jeunes bretilliens. Face à l’ampleur de ce défi, nous sommes convaincus que chaque initiative a sa place, et que la diversité des approches permet d’améliorer les chances de réussite de chaque élève.

 

3/ Vous avez conçu l’association « De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles » comme un moyen de participer au développement du territoire où vous avez effectué votre scolarité. Quel sens donnez-vous à cet objectif ? Et comment percevez-vous la place des collectivités territoriales dans ce cadre ?  

Comme dit précédemment, notre association De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles s’est construite autour d’une conviction forte : le développement d’un territoire passe par la valorisation de ses talents. L’égalité des chances n’est ainsi pas seulement une question individuelle d’opportunités pour les jeunes ; elle constitue un levier essentiel pour assurer le développement économique et social du territoire à plus long terme.

Dans ce cadre, notre action demeure étroitement liée à celle des collectivités territoriales. Celles-ci disposent en effet de nombreux leviers pour favoriser le déploiement de notre action à l’échelle du département. Par leur connaissance fine des enjeux et des besoins du territoire, les collectivités peuvent nous aider à mieux saisir le contexte propre à chaque établissement et à améliorer la réponse que nous pouvons apporter aux élèves. Leur proximité avec l’ensemble des acteurs locaux peut également faciliter nos rapports avec les établissements scolaires et les entreprises locales, dans la perspective de futures collaborations.

Surtout, les collectivités locales peuvent contribuer directement à nos actions en nous apportant un soutien financier ou logistique. Aider les jeunes d’Ille-et-Vilaine à oser, à se former et à réussir, c’est aussi une façon d’investir dans la vitalité de notre territoire.

 

4/ Avez-vous jusqu’à présent rencontré des difficultés particulières dans votre activité associative ? Plus largement, quels sont aujourd’hui les freins, les obstacles au principe de l’égalité des chances comme modèle de justice ?

Comme toute démarche ambitieuse, De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles continue de faire face à de nombreux défis. L’une des principales difficultés que nous rencontrons aujourd’hui est liée à la méconnaissance de notre action, notamment auprès des acteurs de l’éducation et des acteurs locaux. Cette méconnaissance s’accompagne parfois d’une méfiance légitime de la part des personnels éducatifs, qui peuvent voir dans notre démarche une forme d’ingérence ou une remise en cause implicite de leur mission. Malgré notre attachement commun au fait de voir réussir tous les élèves, il est nécessaire de poursuivre nos efforts pour rencontrer chacun d’eux, et les rassurer sur qui nous sommes et sur ce que nous proposons. Tout cela prend malheureusement du temps, et requiert une organisation solide.

Plus globalement, les obstacles à l’égalité des chances demeurent importants en Ille-et-Vilaine et notre association identifie trois freins prioritaires. Le premier, c’est le manque d’informations. Paradoxalement, face à la quantité d’informations disponibles en ligne, les élèves peuvent avoir du mal à s’y retrouver pour trier les plus pertinentes et sélectionner les formations les plus cohérentes par rapport à leur souhait d’orientation. C’est d’autant plus le cas que l’offre de formations évolue très régulièrement, et que même leurs professeurs peuvent être en difficulté pour leur apporter des informations à jour.

Le deuxième frein, c’est celui de l’autocensure. Même lorsqu’ils ont connaissance de l’existence de certaines filières sélectives, de nombreux jeunes s’abstiennent de candidater parce qu’ils craignent de ne pas être légitimes ou ne pas avoir les « codes ». Le phénomène est d’autant plus marqué chez les jeunes des territoires, car ils n’ont pas forcément dans leur entourage de personnes ayant suivi un tel parcours, et qui pourraient éventuellement les conseiller.

Enfin, le troisième frein réside dans les difficultés financières que peuvent rencontrer certains à poursuivre dans les cursus sélectifs. Non spécifique aux jeunes des territoires, cet obstacle peut néanmoins être plus marqué pour eux en raison du manque d’information sur les aides auxquels ils peuvent prétendre et de l’organisation logistique liée à la distance entre le lieu d’études envisagé et le domicile familial.

Pour reprendre le concept de « capabilités » développé par le prix Nobel d’économie Amartya Sen, il n’est pas suffisant que les élèves disposent formellement d’un accès équitable aux formations d’excellence de l’enseignement supérieur. Garantir une réelle égalité des chances nécessite de s’intéresser aussi aux situations particulières des élèves et aux freins spécifiques que certains peuvent rencontrer. C’est pourquoi des initiatives comme la nôtre sont essentielles aujourd’hui. 

 

5/ Très concrètement, « De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles » produit-elle déjà des résultats ? Pourriez-vous nous parler d’un aboutissement dont vous seriez particulièrement fiers ?

Depuis son lancement en septembre 2023, De l’Ille-et-Vilaine aux Grandes Écoles a déjà obtenu des avancées concrètes, même si le chemin reste long. L’an dernier, nous avons réussi à sensibiliser plus de 350 lycéens aux opportunités qu’offrent les filières sélectives de l’enseignement supérieur. Parmi eux, une quinzaine ont déjà sollicité un accompagnement personnalisé ou des conseils d’orientation plus spécifiques. Ces premiers chiffres confirment un réel besoin d’informations chez certains élèves, et justifient pleinement notre engagement.

Sur le plan territorial, nous sommes fiers d’avoir signé plusieurs conventions avec des lycées et grandes écoles d’Ille-et-Vilaine. Ces partenariats s’inscrivent dans la continuité de notre étroite coopération avec les acteurs du département, renforcent la visibilité de notre initiative, et établissent un cadre clair nous permettant de déployer des actions variées et concrètes : ateliers d’orientation, mentorat, sessions d’information.

Notre ambition est désormais de continuer à étendre le champ de nos interventions au sein du département et d’améliorer notre réponse aux besoins que nous identifions sur le terrain. Parmi nos futurs projets, nous envisageons d’instaurer d’ici quelques années un système de bourses dédié aux élèves bretilliens souhaitant s’orienter vers des cursus d’excellence, de façon à lever certains freins financiers. A terme, nous espérons également constituer un véritable réseau d’anciens bénéficiaires, prêts à accompagner à leur tour les nouvelles générations en partageant leur expérience.

 

6/ Comment vous soutenir ?

Tous les engagements sont précieux pour nous aider à faire grandir ce projet. Parce que nous soutenir peut prendre des formes variées, chacun a la possibilité de nous aider à son échelle.

Si vous êtes étudiant ou jeune actif, vous pouvez nous rejoindre en tant que bénévole en suivant ce lien pour partager votre expérience ou devenir le mentor de lycéens souhaitant suivre un parcours proche du vôtre. Vous pouvez également nous aider en faisant connaître notre association autour de vous, et notamment aux élèves qui s’interrogent sur une éventuelle poursuite d’études dans une filière sélective.

Les entreprises et les acteurs économiques locaux ont également un rôle à jouer. En soutenant notre association dans le cadre d’un mécénat, d’un parrainage ou de contributions matérielles, ils peuvent nous permettre de poursuivre notre action dans les meilleures conditions tout en s’associant à une démarche résolument tournée vers le développement de l’Ille-et-Vilaine.

Les collectivités et les établissements publics, de leur côté, peuvent renforcer l’impact de nos actions en facilitant leur déploiement sur l’ensemble du département. Cela peut passer par le relais de nos initiatives auprès des lycéens et de leurs familles, ou par des partenariats permettant de consolider notre action.

Chaque don, chaque subvention et chaque témoignage de soutien contribue directement au développement de notre activité. Ces ressources seront essentielles pour nous permettre de concrétiser la mise en place d’un système de bourses à destination des élèves bretilliens notamment, et ainsi lever les freins financiers à la poursuite de l’excellence en Ille-et-Vilaine.

 

[1] IPP, 2021, « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », p. 161.

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