Chronique

PLEIN SOLEIL, RENÉ CLÉMENT (1960)

Avis aux nostalgiques de l’été ! Quelle que soit la saison, Plein Soleil est un voyage vers l’Italie, vers les flots enivrants de la Méditerranée et son soleil chaud. Le film culte de René Clément est aussi l’acte de naissance d’une icône du septième art : Alain Delon. Révélé et consacré par Plein Soleil, l’acteur né y apparaît déjà au sommet de son talent.

L’automne étant désormais bien entamé, l’hiver s’approche dangereusement. Pour les éternels nostalgiques de la belle saison, la perspective est difficile sinon pénible. Il n’est pourtant jamais trop tard pour s’échapper des rigueurs de l’arrière-saison, du moins pour s’y employer. Étant nettement de ces nostalgiques, j’ai ressassé mes souvenirs encore ensoleillés de cet été et j’ai eu vite fait d’en saisir un en particulier. La projection dans la Cour carré du Louvre, dans une atmosphère crépusculaire, du film culte de René Clément : Plein Soleil.

Organisée à l’initiative du Festival Paradiso(1), cette séance fut d’abord l’occasion de renouer avec le cinéma en plein air et sa convivialité, que je ne pensais pas si bien établi à Paris et en France par ailleurs. Elle fut surtout une invitation au voyage, en direction de l’Italie, pour suivre les pérégrinations d’un trio fameux du septième art, aussi libre comme l’air que profondément malsain. L’intrigue, René Clément la puise dans le polar Monsieur Ripley (1950) de la romancière américaine Patricia Highsmith et il choisit, pour l’incarner, trois jeunes acteurs depuis lors entrés dans la postérité, l’un d’eux plus que tout autre. À 24 ans, Alain Delon se révèle en effet totalement dans le rôle de Tom Ripley. Individu a priori sans importance, il est engagé par un milliardaire américain pour ramener son fils Philippe Greenleaf – joué par Maurice Ronet – parti pour des vacances mondaines et semble-t-il sans fin en Italie. Tantôt bouffon, tantôt confident, Tom est l’homme à tout faire de l’existence oisive de Philippe et fait rapidement office de conciliateur dans sa relation tourmentée avec sa maîtresse Marge, interprétée par l’actrice et chanteuse Marie Laforêt, décédée en 2019. Le cadre du thriller est posé : un ambitieux subordonné et avide, un nanti frivole et imprudent, une amante fragile et convoitée. Au fil des allées et venues, de Rome à Taormine, et de traversées plus ou moins heureuses sur le magnifique voilier de Philippe, le désir aveugle de Tom se fait grandissant, excité par les humiliations qu’il subit. Sans tarder, une pensée terrible s’impose à son esprit : s’emparer de la place de Philippe. À lui l’argent, le voilier, Marge et les vacances ! Après tout, il les a suffisamment côtoyés pour s’approprier leurs façons précieuses. Parler en maître ? il apprendra. Contrefaire des signatures ? il s’entrainera.

Quelle que soit la saison, Plein Soleil est donc un voyage vers les flots enivrants, parfois inquiétants de la Méditerranée. S’y plonger, c’est aussi remonter aux plus belles années d’une collaboration artistique féconde entre la France et l’Italie, un mariage cinématographique dont découle la production commune d’environ 2000 films(2)  ! Italophone, Alain Delon y contribuera largement puisqu’après Plein Soleil, alors que sa carrière s’envole, il enchaînera les grands succès franco-italiens : Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960), L’Éclipse de Michelangelo Antonioni (1962), Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil (1963), Le Guépard de Visconti encore (1963), Le Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967), La Piscine de Jacques Deray (1968), Le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil de nouveau (1969), ou encore Borsalino de Jacques Deray (1970). Une liste non exhaustive… Franco-italien, Plein Soleil ne l’est pas uniquement par sa production puisque c’est l’immense Nino Rota qui en composera la bande originale. La musique du compositeur de Fellini et de Visconti, de celui qui imprimera dans la mémoire auditive populaire les airs lancinants de la trilogie de Coppola Le Parrain, magnifie déjà dans Plein Soleil les scènes, les visages et les émotions. Et quand les images s’effacent, que les souvenirs s’estompent, ce sont les mélodies qui parfois demeurent et nous accompagnent nostalgiquement.

Nostalgique… Alain Delon doit l’être certainement lorsqu’il repense à ces années glorieuses et leur ribambelle de rencontres et de collaborations. De la vie folle qui sera la sienne, Plein Soleil est l’acte de naissance. Trois ans plus tôt, il n’est encore « que dalle », si ce n’est un quidam revenu d’Indochine. En 1960, il est connu du monde entier ! Cette notoriété, Delon ne l’a pas volée, il l’a conquise bien conscient de son talent et de sa beauté altière. Initialement prévu pour jouer le rôle de Philippe Greenleaf dans Plein Soleil, il parviendra à décrocher celui de Tom Ripley, convaincu d’être le meilleur à cette place. Paradoxalement, à l’entendre, cette vie de conquêtes s’est faite tout naturellement, comme l’application d’un conseil simple prophétique que lui donnera le réalisateur Yves Allégret dans son premier film : « Ne joue pas. Regarde comme tu regardes. Parle comme tu parles. Écoute comme tu écoutes. Fais tout comme tu le fais. Sois toi, ne joues pas, vis ! »(3).  

L’acteur né aime à dire qu’il a été un premier violon dirigé par des Karajan, référence au chef d’orchestre mythique de l’orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan. Voilà une métaphore qu’on veut bien lui accorder. Les polémiques et propos déplorables n’y changeront rien. Alain Delon est et demeure une icône absolue du cinéma français, un premier violon qui aura interprété parmi les plus belles partitions. Plein Soleil est son premier solo.

Références

(1) https://www.mk2festivalparadiso.com/fr.

(2)  V. https://www.liberation.fr/debats/2019/10/09/france-italie-un-mariage-tres-cinematographique_1756579/ qui revient sur le premier accord officiel de coproduction cinématographique entre la France et l’Italie du 19 octobre 1949.

(3)  Cité dans https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/france-inter/alain-delon-le-monstre-sacre-7676489.

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