La laïcité aux États-Unis, un principe asymétrique

Aux États-Unis, la séparation des Églises et de l’État protège d’abord la religion contre l’emprise publique, bien plus qu’elle ne préserve l’État de l’influence religieuse, comme en France. Héritée de l’histoire des pionniers et consacrée par le premier amendement, cette laïcité asymétrique façonne durablement la vie politique américaine. Article de Corinne Narassiguin, sénatrice de la Seine-Saint-Denis.

Le principe de laïcité, c’est-à-dire la séparation des Églises et de l’État, trouve ses sources dans les Lumières qui ont éclairées la révolution française, et avant elle, la révolution américaine et l’établissement de la République des États-Unis d’Amérique.
Pourtant, la laïcité se traduit différemment en droit et en pratique dans nos deux pays.
Les États-Unis sont un pays laïque puisqu’il n’y a pas de religion officielle et que la liberté religieuse y est un droit fondamental, garantie par le premier amendement de la constitution datant de 1791, aux côtés de la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion et d’association.
Notons que cet amendement ne garantit pas la liberté de conscience en tant que telle, dont découle pourtant toutes les libertés qu’il garantit explicitement. Car pour les pères fondateurs, ce n’est pas la foi religieuse ou l’absence de foi comme conviction intime qu’ils étaient inquiets de protéger, mais la liberté de pratiquer et de proclamer la religion de son choix.
L’histoire des pionniers américains est largement celle de groupes persécutés en raison de leur religion, venus sur le continent nord-américain pour y construire une nouvelle vie dans la liberté de pratiquer leur religion. C’est un aspect majeur du roman historique de la naissance des États-Unis. L’idée que les États-Unis sont un bastion imprenable de la liberté religieuse a été portée par de nombreux Présidents, de George Washington à Barack Obama, même si la réalité est moins glorieuse. Les affrontements religieux violents, les discriminations et persécutions religieuses font aussi partie de l’histoire des États-Unis.

Si la séparation des Églises et de l’État est établie en droit, la jurisprudence et les pratiques politiques et religieuses sont très différentes de celles qu’on connaît en France.
Il est courant pour des candidats aux élections ou des élus d’être invités à s’exprimer dans des lieux de culte, pour des représentants religieux de participer activement à la vie politique, en tant que soutien et même en tant que candidat ou élu. Il paraît politiquement inconcevable d’être un candidat sérieux à une élection sans faire connaître son appartenance religieuse. Quand on prête serment pour prendre ses fonctions d’élu, et dans beaucoup de tribunaux en tant que témoin, on le fait souvent sur le livre religieux de son choix.
Au nom de la liberté religieuse, les lobbies religieux mènent constamment des batailles politiques et juridiques pour imposer leurs croyances sur la loi et les politiques publiques, comme par exemple pour dicter le contenu des programmes scolaires, ou pour établir des dérogations religieuses y compris pour contrevenir aux droits des femmes ou pour discriminer contre des personnes LGBTI+. Ces cas finissent régulièrement devant la Cour Suprême, et le principe d’égalité devant la loi ne résiste pas toujours à celui de la protection de la liberté religieuse.

D’ailleurs, la devise « In God we trust » est apparue au XIXème siècle et en particulier pendant la guerre de sécession, pour à partir de 1956 être consacrée en devise nationale, imprimée sur toutes les pièces et tous les billets de monnaie, et affichée dans de nombreux tribunaux. À partir des années 1930 et surtout pendant la Guerre froide, l’athéisme était suspect car il était associé au communisme. Le « Godless communist » était une propagande efficace contre une catégorie d’êtres humains dépeints comme doublement dangereux : anticapitalistes et sans dieu. Jusqu’à présent s’affirmer athée aux États-Unis semble être un acte de militantisme politique.

Aux États-Unis, la liberté religieuse est garantie, l’État doit être impartial vis-à-vis des religions. Mais la religion est partout et se mêle de tout. Car en réalité, la séparation des Églises et de l’État vise à protéger les religions de l’intervention et de la persécution de l’État, mais ne vise pas à protéger l’État de l’intervention des religions. Ce n’est pas un oubli, c’est le sens de leur héritage historique. On est loin de l’idéal laïque de Thomas Jefferson et son « mur de séparation ». L’évolution politique du pays et la jurisprudence de la Cour suprême ont construit un mur qui n’est étanche que dans un sens.

Cette asymétrie du principe de laïcité à l’américaine est pleinement exploitée par le Trumpisme, où le culte de la personnalité se mélange de manière inquiétante à un christianisme évangéliste américain à la recherche d’un nouveau prophète.
Si la Cour suprême a supprimé le droit à l’avortement, c’est parce Donald Trump lors de son premier mandat a modifié profondément sa composition pour satisfaire les demandes de sa base chrétienne évangéliste.
Depuis le début du deuxième mandat de Donald Trump, ce principe de laïcité, même asymétrique, est de plus en plus souvent ébranlé.
Déjà pendant la campagne présidentielle, en mars 2024, Donald Trump a mis en vente pour 60 dollars pièce une « Bible Que Dieu bénisse les USA » comprenant une édition de la Bible chrétienne, une version volontairement incomplète de la Constitution des États-Unis, la Déclaration d’Indépendance et le Serment d’allégeance au drapeau américain.
Le « Make America Great Again » est construit sur le principe de la supériorité d’une civilisation états-unienne blanche et chrétienne. Donald Trump assume ouvertement vouloir « ramener la religion dans le pays ». Il organise des prières pendant les réunions de cabinet à la Maison Blanche et fait la chasse aux « biais anti-chrétiens » dans les administrations.
Le Vice-Président JD Vance, coupable d’avoir pour épouse une femme d’origine indienne et de religion hindoue, s’est senti obligé de rassurer la base électorale trumpiste en souhaitant publiquement, début novembre 2025, que son épouse se convertisse au Christianisme. S’en est suivi une vive polémique sur le respect de la liberté religieuse et les dangers de la politisation des religions.

Même quand le principe de la séparation des Églises et de l’État est gravement remis en cause, la protestation est asymétrique. Ce qui inquiète le plus, ce n’est pas l’influence des évangélistes chrétiens sur l’administration Trump, c’est l’interférence du politique dans les pratiques religieuses.

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