Eolien offshore : l’ambition européenne face au défi industriel et technologique

Les Etats européens et l’UE affichent désormais de grandes ambitions en matière d’éoliennes en mer à horizon 2050. Mais leur réalisation nécessite de répondre au triple défi que représentent une concurrence internationale accrue sur les matières premières et la réalisation de sauts technologiques et industriels importants.

Un secteur qui connaît quelques améliorations après une année difficile

Si l’année 2022 s’est révélée difficile pour le secteur de l’éolien offshore (des investissements globaux en chute, des taux d’intérêts élevés et une augmentation du prix des matériaux déstabilisant le marché) 2023 a offert des perspectives plus réjouissantes.

De nouvelles installations ont effectivement été annoncées en 2023 : au Pays-Bas où le «Hollandse Kust Zuid» d’1,5 GW est désormais le plus grand du monde, en Grande-Bretagne mais également en France. Selon le Figaro(1), 30 milliards d’euros de projets ont été validés, des montants records permettant l’émergence de huit fermes. Les différents gouvernements européens ont également annoncé la création de nouvelles usines en Pologne, Allemagne, Espagne, Pays-Bas et Danemark. 

Des échecs significatifs ternissent néanmoins le tableau : en septembre 2023, le Royaume-Uni, qui ambitionne de devenir « l’Arabie Saoudite du vent » et occupe le premier rang mondial en matière de production de turbines en mer, a annoncé n’avoir reçu aucune candidature à son cinquième appel d’offres pour l’attribution de site d’éoliennes offshores. L’entreprise danoise Orsted a quant à elle déprécié ses actifs à hauteur de 2,3 milliards d’euros et s’est retirée de certains projets aux Etats-Unis.

Néanmoins le panorama global reste encourageant : la même entreprise danoise a annoncé fin 2023 investir dans le plus grand parc éolien offshore du monde, Hornsea, au large des îles britanniques, dont la capacité de 2,9GW devrait être atteinte pour 2027.  Et si l’électricien suédois Vattenfall a suspendu sa participation au projet britannique Norfolk Boreas en raison de l’augmentation importante des coûts, RWE a racheté son portefeuille avec pour ambition de relancer le projet.

Des objectifs européens ambitieux à horizon 2050

Afin de soutenir la dynamique du secteur, la Commission européenne a publié son plan 2020 pour les énergies en mer. Ce plan fixe comme objectif d’atteindre 60 gigawatts en 2030 et 300 GW d’ici 2050. Il a en revanche été vite supplanté par un nouveau plan de développement du réseau offshore rendu public le 23 janvier dernier par le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (REGRT-E). Celui-ci prévoit une production d’énergies renouvelables en mer de 354GW en 2050 (496 en ajoutant la Norvège et le Royaume-Uni)(2).

Un défi immense attend néanmoins les Etats européens : la circulation de l’énergie produite en mer jusqu’au consommateur final. Et pour relever ce défi il ne faut pas moins de 400 milliards d’euros d’investissements selon le REGRT-E. Les infrastructures nécessaires pour assurer cette circulation pourrait « couvrir jusqu’à 54 000 km de lignes dans les eaux européennes, soit près de 1,5 fois la longueur de l’équateur »(3).

Si les conditions de réussites sont en partie financières, elles sont tout autant technologiques. Les technologies actuelles ne permettent pas un niveau de sécurité suffisant dans le cadre d’un projet ambitieux de développement de l’éolien offshore. Ce qu’il manque en priorité ce sont des disjoncteurs DC (courant continu) dont la fabrication demande un savoir-faire technique important et empêche actuellement une production industrielle.

« Si nous voulons […] davantage de parcs éoliens offshore connectés à la terre, nous ne pouvons pas le faire avec les technologies actuelles, car en cas de défaillance, toute la structure s’effondre », a expliqué Gerald Kaendler, président du comité de développement des systèmes au REGRT-E, cité par Euractiv.

En faisant l’hypothèse d’une production industrielle de ces disjoncteurs DC, la capacité d’interconnexion supplémentaire entre les pays de l’Union européenne d’ici 2040 est de 13GW. Sans ces disjoncteurs, cette capacité est ramenée à 7,5GW. Concernant l’Hexagone, dans la première hypothèse les capacités sont également estimées à 13GW et dans la seconde à seulement 2GW.

Au-delà des disjoncteurs DC c’est tout un écosystème industriel qui est nécessaire à la réalisation des ambitions européennes en matière d’éolien offshore : les chantiers navals, les navires, les ports pour l’assemblage et l’installation d’équipements, les ressources humaines « pour concevoir, construire et exploiter les systèmes offshore »(4).

Au même titre que les métaux stratégiques, les matières premières servant à la construction des infrastructures font l’objet d’une concurrence internationale accrue. Le développement de l’éolien n’est pas une exception européenne mais bien un impératif pour nombre de pays en voie de transition énergétique.  Le secteur est d’ailleurs toujours dominé par la Chine et pose la question fondamentale de la dépendance européenne et française aux productions chinoises.

La coordination entre Etats doit elle aussi atteindre un niveau sans précédent dans la mesure où les parcs éoliens offshore relient souvent plusieurs pays. Un premier pas en ce sens a été réalisé par la Commission européenne. Elle a en effet publié un plan d’action dont l’objectif est d’accélérer « le déploiement des réseaux électriques et éliminer les obstacles qui entravent le déploiement des énergies renouvelables ». Reste encore des contraintes difficiles à contourner : celles des règles européennes relatives à la concurrence et remettant en cause la possibilité de former des alliances industrielles conséquentes.

Références

(1)https://www.lefigaro.fr/flash-eco/eolien-offshore-le-secteur-redresse-la-tete-en-europe-20240118

(2) https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/reseaux-eoliens-offshore-400-milliards-deuros-seraient-necessaires-pour-atteindre-les-objectifs-de-2050/

(3)Idem

(4)Idem

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