Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ». Au moment où le président de la République n’a que le mot « réarmement » à la bouche, cela pourrait faire sourire. Il est en tout cas indispensable de présenter l’état des forces en présence et de se demander si en réalité une guerre scolaire souterraine ne se développe pas depuis fort longtemps, au cours de laquelle un camp aurait déjà remporté de nombreuses batailles sur l’autre.
Le financement public de l’enseignement privé sous contrat
La cinquième République met en place le financement public de l’enseignement privé
La démocratie chrétienne tenta pendant toute la IVème République de faire contribuer l’État aux dépenses de l’enseignement privé confessionnel, sans y parvenir véritablement. En revanche, la Vème République à peine naissante instaura, par la loi Debré de 1959, le financement par l’État des établissements privés d’enseignement sous contrat. Le principe était que l’État contribuerait par élève du privé à hauteur de ce qu’il accordait à l’enseignement public, dès lors que ces établissements privés passeraient un contrat par lequel ils s’engageaient à respecter les programmes nationaux d’enseignement définis par le ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’à accepter un contrôle de l’État sur le respect effectif de cet engagement.
Alors à quoi bon développer des établissements d’enseignement privé pour faire la même chose que dans l’enseignement public ?
Tout simplement parce que si les financements de l’Etat en faveur du privé sont comparables à ceux consentis pour un élève du public, les contraintes pesant sur les établissements privés sous contrat et sur l’école publique ne sont pas les mêmes.
Les directeurs des établissements privés choisissent les professeurs qu’ils emploient, dont le salaire est payé par le budget de l’État ; ce n’est pas le cas des directeurs d’établissements publics. Ils choisissent également les élèves qu’ils inscrivent dans leurs établissements et ne sont nullement tenus, à la différence des établissements publics, d’inscrire tous les enfants de leur secteur géographique qui se présentent à leur porte.
Ils peuvent en toute autonomie définir leur projet d’établissement. Celui de l’école Stanislas qui fait la une de l’actualité en ce moment, comporte par exemple l’obligation pour les élèves de suivre des cours de catéchisme, en violation des règles qui s’imposent normalement aux établissements privés sous contrat. En effet, la loi Debré de 1959 précise que si un établissement scolaire veut être financé par de l’argent public, « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » doivent y avoir accès.
L’école Stanislas censure également un certain nombre d’ouvrages littéraires considérés comme heurtant les convictions catholiques et défend une position officielle sur des questions comme l’homosexualité ou l’avortement assez éloignée de ce que disent nos lois. Le directeur de l’établissement, Frédéric Gautier, justifiait cela en août dernier en déclarant au journal « Le Monde »: « l’église catholique est contre l’union homosexuelle et contre l’avortement, que je sache, non ? Une école catholique ne peut dire autre chose ».
Un rapport sur cet établissement réalisé à la demande du ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye vient d’être rendu public par Mediapart et non par le ministère de l’éducation ni par l’école Stanislas.
Nous reviendrons un peu plus loin sur les conséquences de cette liberté laissée aux établissements privés sur leur situation comparée à celle des établissements publics.
Les conséquences de la loi Debré sur les finances publiques
Il n’est pas facile d’avoir une idée précise des moyens publics consacrés à l’enseignement privé sous contrat. L’information des parlementaires sur le sujet est d’ailleurs considérée comme très insuffisante par la Cour des comptes. En effet, les concours publics à l’enseignement privé ne se limitent pas aux 8 milliards d’euros (en 2022) du « programme 139 – Enseignement privé sous contrat de la mission interministérielle Enseignement scolaire (MIES) », du budget de l’État. Ces crédits financent à la fois la rémunération des enseignants et le forfait d’externat versé aux établissements du second degré, destiné à couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire.
Le rapport annuel du ministère de l’éducation nationale, « Repères et Références Statistiques » indique que la subvention de l’état à l’enseignement privé s’élevait en 2020 à 8,7 milliards d’euros. En effet, l’enseignement privé sous contrat bénéficie d’autres concours de l’État que ceux qui sont inscrits dans ce programme 139.
Il faut ajouter aux subventions de l’état celles des collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes…), dédiées aux salaires des personnels non-enseignants des établissements privés et à couvrir une partie des frais de fonctionnement. Elles s’élevaient en 2020, à 2,7 milliards d’euros. En plus de quoi, 665 millions sont distribués au privé par les « autres administrations publiques » pour les dépenses de chauffage ou l’éclairage.
Enfin, des établissements privés bénéficient de subventions « facultatives », versées au bon vouloir des présidents de collectivités locales. La région Ile de France, dirigée par Valérie Pécresse (LR), aurait par exemple voté 11 millions d’euros d’autorisations de subventions en prévision de travaux dans les 215 établissements privés de la région. Une générosité qui tranche avec son prédécesseur socialiste, qui ne versait que les subventions obligatoires.
Au total, l’enseignement privé sous contrat bénéficie chaque année de 12,2 milliards d’euros d’argent public, ce qui représente environ 6 350 euros par élève et 23 % du budget de l’Éducation nationale. À titre de comparaison, le coût de la scolarité d’un élève de l’école publique s’élève en moyenne à 8 480 euros par an.
La Cour des comptes, note dans un rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023 : « De manière globale, le financement apporté par l’État aux établissements privés sous contrat est prépondérant dans leur modèle économique : 55 % pour le 1er degré et 68 % pour le 2nd degré. Cette part de financement est peu différente de celle observée pour les établissements publics, dont l’État assure respectivement 59 % et 74 % du financement. La part revenant aux familles s’élève à 22 % dans le 1er degré et à 23 % dans le 2nd degré…La différence en faveur du public dans la répartition du financement n’est que de 3,6 points pour les écoles maternelles et de 5,9 points pour les collèges et lycées. Les collectivités supportent, quant à elles, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, qui sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public. »
La principale différence entre le public et le privé s’agissant du financement public résulte de ce qui reste de la loi Falloux de 1850, qui limitait à 10% le subventionnement possible par l’État des investissements réalisés par les établissements privés.
L’UNAPEL, « Union nationale des associations de parents de l’enseignement libre », qui considère l’enseignement privé comme un bastion de liberté face à une école publique sous emprise de l’État, chercha à partir de 1991 à faire abroger la loi Falloux, de sorte que les collectivités territoriales, désormais chargées de l’investissement dans les écoles, les lycées, et les collèges puissent librement subventionner l’investissement des écoles privées et pas seulement leur fonctionnement.
Bien entendu, cela n’avait rien à voir avec une volonté quelconque de ranimer « la guerre scolaire », comme il en est fait reproche à ceux qui osent poser des questions sur la légitimité du financement public à l’enseignement privé et sur ses résultats.
François Mitterrand alors Président de la République résista à ces demandes, mais la cohabitation de 1993 donna l’opportunité à François Bayrou, alors ministre de l’éducation nationale et aujourd’hui l’un des principaux soutiens politiques à Emmanuel Macron, de proposer au Parlement d’abroger la loi Falloux. Il s’ensuivit un combat politique important, des défilés de dizaines de milliers de personnes opposées à cette mesure dans toute la France et finalement une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnel le projet adopté à l’initiative de François Bayrou en ce qu’il laissait les collectivités territoriales libres de financer ou non les investissements des écoles privées en fonction de leurs préférences religieuses et politiques, ce qui était contraire au principe d’égalité. La loi ainsi censurée qui fut promulguée sans sa disposition principale, ne remettait pas fondamentalement en cause les limitations imposées aux collectivités publiques dans le subventionnement de l’investissement des établissements privés, au grand dam des combattants de l’enseignement dit libre.
Cet argent public est versé à des établissements qui pour certains d’entre eux ont le statut de société anonyme, qui peuvent donc réaliser des bénéfices. C’est le cas par exemple de Stanislas où sont scolarisés les enfants de la ministre de l’éducation, qui a enregistré un bénéfice avant impôts et amortissements de 3 millions d’euros en 2022.
A ces financements publics s’ajoutent, pour les établissements privés, la contribution des familles, plus importante que dans l’enseignement public. Elle représente en proportion du financement du forfait externat, 23,2 % pour les écoles et 21,9 % pour les collèges et lycées privés , contre respectivement 3,8 % et 2,9 % dans le public (hors dépenses de rémunération des enseignants assurées par l’État).
Selon la Fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique, les frais de scolarité dans le privé s’élèvent en moyenne à 390 euros par an à l’école primaire, 763 euros au collège et 1 176 euros au lycée. Mais les tarifs sont bien plus élevés dans les établissements les plus prestigieux des grandes villes. Pour que leurs enfants puissent fréquenter l’école Stanislas, installée sur trois hectares au cœur de Paris, avec ses sept gymnases et ses deux piscines, les parents payent chaque année 2027€ en primaire, 2238€ au collège et 2561€ au lycée, auxquels il faut ajouter la contribution pour le financement de l’étude (entre 1 300 et 1 600 euros) et de la cantine (10 euros le repas soit 1 354 euros à l’année).
On espère qu’à ce prix-là les enfants sont heureux comme le souhaite Madame Oudéa Castera.
Les enfants des classes dominantes se regroupent dans les établissements privés
Recul de la mixité sociale
Il est devenu habituel dans notre pays de traiter de partisans de la guerre scolaire et d’ennemis de la liberté, tous ceux qui mettent en cause le financement public de l’enseignement privé, qui se définit lui-même comme enseignement libre, sous-entendu libre des contraintes que l’État pourrait exercer sur lui.
En fait, on pourrait transposer à l’école ce que disait Warren Buffett (patrimoine évalué à 65 milliards de dollars) de la lutte des classes : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »
L’école est aussi un champ de la lutte des classes et celle qui l’a emporté dans l’enseignement privé est, sans conteste, la classe la plus favorisée.
À vrai dire, la soi-disant guerre scolaire est entretenue en permanence par les tenants de l’enseignement privé.
Il suffit de rappeler l’épisodes de l’immense manifestation organisée par la droite en 1984 à Versailles pour faire reculer le gouvernement de l’époque sur son projet de grand service national unifié de l’éducation nationale, ou bien celui de 1993 et la tentative de François Bayrou d’engager encore plus les fonds publics au service de l’enseignement privé, pour constater que les partisans de la guerre scolaire ne sont pas les laïcards archaïques toujours désignés, mais ceux qui défendent l’enseignement privé avec acharnement et souhaite en élargir le champ.
Les propos tenus vendredi dernier par la ministre de l’éducation nationale justifiant la scolarisation de ses enfants dans un établissement privé prestigieux du centre de Paris en disant “Alors on en a marre comme des centaines de milliers de familles du paquet d’heures pas sérieusement remplacées… nous nous assurons que nos enfants soient bien formés avec des exigences dans la maitrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux“, constituaient une attaque en règle contre l’école publique.
La justification du financement public de l’enseignement privé, depuis 1959, serait sa participation au service public d’éducation dont les objectifs sont fixés par l’État. L’égalité des chances au travers de l’école et la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, font partie de ces objectifs.
L’évolution de l’origine sociale des élèves qui fréquentent ces établissements montre que l’enseignement privé tourne le dos à ces objectifs et constitue de plus en plus un ghetto d’enfants des classes favorisées.
Un peu plus de 2 millions d’élèves fréquentent les établissements privés sur les 12,2 millions de jeunes fréquentant les écoles maternelles, primaires, les collèges et les lycées. Dans un contexte de stagnation des effectifs scolaires globaux, les effectifs du privé augmentent faiblement dans l’enseignement primaire, plus rapidement dans le secondaire. L’enseignement supérieur, qui n’obéit pas aux mêmes règles de financement, connaît une explosion de la part du privé fréquenté aujourd’hui par le quart des étudiants.
Selon l’enquête PISA 2022 la part des élèves de 15 ans scolarisés dans des établissements privés est passée de 16,4% en 2018 à 21,6% en 2022.
Ce qui est plus saisissant, c’est l’évolution de la composition sociologique de la population scolaire de l’enseignement privé.
Dans le rapport de la Cour des comptes déjà cité, du mois de juin dernier, un chapitre est consacré au net recul de la mixité scolaire et de la mixité sociale dans les établissements privés, alors qu’elle reste la règle dans les établissements publics. Elle écrit : « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves des familles très favorisées qui constituaient 26,4% des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentaient 40,2% en 2021 Et les élèves des milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4% en 2021) alors qu’ils représentent 32,3% des élèves dans le public. A l’inverse, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8% des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat contre 29,1% dans le public. Ces écarts importants sont confirmés par tous les indicateurs notamment les indices de position sociale, indicateurs synthétiques utilisés par le ministère de l’éducation pour étudier et décrire les populations scolaires dans les établissements scolaires. »
L’origine sociale dans la sélection des élèves de l’enseignement privé est d’autant plus importante que la part du caractère proprement religieux dans les motivations des familles pour choisir l’enseignement privé catholique est de plus en plus faible. Les enfants ne sont pas placés dans l’enseignement privé catholique essentiellement pour être catéchisés, mais pour se retrouver avec leurs semblables socialement et culturellement. On notera d’ailleurs que Madame Oudéa Castera ne pensa pas un instant à évoquer ses convictions religieuses pour justifier son choix, mais uniquement la mauvaise qualité qu’elle impute à l’enseignement public et la qualité des relations dont jouiront ses enfants dans un contexte d’entre-soi social est culturel.
La Cour des comptes, encore elle, considère que : « l’enseignement privé sous contrat apparaît ainsi majoritairement comme un enseignement de recours face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant ».
La sélection sociale des enfants des couches favorisées dans l’enseignement privé est accélérée par la disparition des structures d’enseignement privé accueillant traditionnellement des couches moins favorisées socialement, comme les maisons familiales rurales par exemple. L’enseignement privé se localise de plus en plus dans les grandes villes et accueille les rejetons des familles aisées de ces agglomérations. Le phénomène a d’abord touché les couches aisées classées à droite et ayant des opinions plutôt conservatrices sur ce qu’il est convenu d’appeler maintenant les questions sociétales. Mais aujourd’hui, ce sont les couches supérieures se définissant elles-mêmes comme progressistes, voire de gauche, toujours prêtes à s’indigner contre les discriminations de toute nature, qui inscrivent leurs enfants dans l’institution privée la plus proche des centres-villes qu’ils occupent, sans y voir cette fois la moindre forme de discrimination vis-à-vis de tous les enfants qui n’ont, eux, pas d’autre choix que de fréquenter les écoles publiques qui restent celles de la République.
En 2022, les établissements privés accueillaient 2 fois plus d’élèves très favorisés et 2 fois moins d’élèves défavorisés que les établissements publics d’enseignement, selon les services statistiques du ministère de l’éducation nationale. L’écart se creuse au fil du temps.
Une étude de 2014 menée au niveau national(1) a mis en évidence qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir une place dans un établissement privé catholique pour une famille dont le nom avait une consonance maghrébine que pour une famille au nom à consonance française. L’écart en défaveur des demandeurs portant un nom maghrébin était de 11% à 13% de chances en moins de voir leur demande acceptée, pour la même demande, au même moment, avec le même profil mais ayant des patronymes différents. Une telle situation contrevient complètement aux obligations fixées par la loi Debré d’accueillir tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance.
Le ministre de l’éducation Pap Ndiaye s’en était ému et avait déploré le 1er mars 2023 devant les sénateurs qu’en dépit de leur financement majoritairement public, les établissements privés aient des politiques de mixité sociale très limitées. Il indiquait qu’il serait normal d’exiger d’eux qu’ils favorisent la mixité sociale des élèves en s’engageant dans une démarche contractualisée. Ces déclarations ont soulevé un tollé des défenseurs de l’enseignement privé. Le ministre a dû faire machine arrière et il n’a pas été reconduit au remaniement gouvernemental qui a suivi.
L’enseignement privé de meilleures qualité que celui du public ?
C’est ce que prétend la nouvelle ministre de l’éducation nationale qui n’a manifestement pas lu les études réalisées par son propre ministère, lequel n’attribue absolument pas cette supériorité qualitative aux établissements d’enseignement privé.
Les résultats au baccalauréat des lycées privés ne témoignent pas de l’excellence de leur enseignement, mais de la sélectivité de leur recrutement et du regroupement de cohortes d’élèves issus des classes favorisées.
Ce qui est beaucoup plus intéressant et significatif de la qualité de l’enseignement proposé aux élèves, c’est la valeur ajoutée apportée par l’établissement scolaire. Celle-ci est mesurée par les résultats obtenus par l’ensemble des élèves en l’absence de sélection sociale. La sociologie des établissements est étudiée et les résultats aux différents examens sont comparés aux caractéristiques sociales de la population. Mesurée de cette façon, la valeur ajoutée de l’enseignement public est bien souvent supérieure à celle des établissements privés pour lesquels les travaux de recherche actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier une plus-value supérieure ou inférieure à celle de l’enseignement public.
On peut d’ailleurs remarquer que la proportion d’enseignants titulaires d’une agrégation rapportée à l’ensemble du corps enseignant d’un établissement est deux fois supérieure dans l’enseignement public à ce qu’elle est dans l’enseignement privé. Et sauf à penser que les enseignants ayant bénéficié de la formation la plus poussée soient les plus mauvais, cela doit bien exercer une influence sur la qualité de l’enseignement dispensé.
Un contrôle inexistant de l’État sur l’enseignement privé
Le constat de la Cour des comptes sur ce point est sans appel : « le contrôle financier des établissements privés sous contrat qui incombe aux directions départementale et régionale des finances publiques n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique réalisé par les inspecteurs d’académie et les inspecteurs pédagogiques régionaux est minimaliste ; le contrôle administratif qui relève de l’inspection générale de l’enseignement, du sport et de la recherche et des recteurs n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé. Par ailleurs, le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées.
Aujourd’hui, le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant. La gestion des moyens, des ouvertures et des fermetures de classes est principalement déléguée aux réseaux d’enseignement privés en lien avec la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale. »
Il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit à ce constat accablant.
Financement public de l’enseignement privé catholique et communautarisme
Dire que la République ne peut pas sérieusement prétendre lutter contre le communautarisme en finançant massivement l’une des communautés religieuses du pays, les catholiques, fait généralement sortir de leurs gonds les défenseurs de l’enseignement privé qui considèrent que cela n’a aucun rapport.
Pourtant le lien entre les deux me semble difficile à récuser.
L’existence d’un enseignement privé catholique repose sur l’idée que les familles partageant une croyance religieuse ont le droit d’élever leurs enfants dans le respect de cette croyance, non pas en leur faisant suivre des cours de catéchisme s’ils le souhaitent en dehors de l’école, mais en faisant de la religion la justification de l’existence d’établissements indépendants du réseau scolaire public. Cette justification correspond donc exactement à ce que l’on peut définir comme un communautarisme religieux, c’est à dire l’idée qu’une communauté peut construire ses propres institutions à l’intérieur d’une République laquelle devient de ce fait moins « une et indivisible » comme le proclame sa constitution.
La part des autres religions, islam, judaïsme, dans l’enseignement privé sous contrat reste pour l’instant limitée compte tenu de l’historique de ce sujet et de la part écrasante de l’enseignement privé catholique, mais elle est en forte croissance depuis quelques années, en même temps que celle des écoles dont la vocation est vouée à la défense de langues régionales.
Il n’y a bien sûr aucune raison de refuser aux uns ce qui a été accordé très massivement à l’autre. Dès lors, si nous continuons comme cela l’enseignement public continuera à se déliter comme il le fait à une vitesse accélérée depuis quelques années, au profit de la coexistence d’écoles religieuses, d’écoles promouvant un régionalisme linguistique support de revendications politiques d’une plus forte autonomie régionale.
Les discours prononcé avec des trémolos dans la voix sur « l’école creuset de la République qu’il faut renforcer défendre etc. » ne sont que des tartufferies aussi longtemps que le principe d’une école unique de la République, libre de toute influence religieuse ne sera pas réaffirmé. Bien sûr, ceux qui veulent défendre la liberté de mettre leurs enfants dans des écoles confessionnelles doivent conserver ce droit, mais ils devront aussi en supporter la charge financière qu’il n’est pas légitime de faire supporter à l’ensemble des contribuables français. Cela d’autant plus que l’école privée catholique est devenue l’école des riches payée en grande partie par les impôts des pauvres. Cela pose non seulement une question de principe sur les fondements de l’école de la République, mais aussi des questions relatives à la politique fiscale et aux charges indues que l’on fait payer à la grande masse des citoyens pour permettre aux communautarisme des riches de s’organiser comme il souhaite le faire.
L’enseignement public est en crise
Critiquer l’enseignement privé et remettre en cause son mode de financement ne signifie pas que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes de l’enseignement public. L’école publique a été durement secouée par la succession des réformes ministérielles, chaque ministre voulant laisser la marque de son passage au lieu de laisser les enseignants travailler dans la sérénité. L’introduction des méthodes managériales importées du privé dans la gestion d’une institution qui n’a rien à voir avec une entreprise et qui doit d’ailleurs se préserver du mode de gouvernement des entreprises, hautement critiquable, a affaibli l’éducation nationale.
Là comme ailleurs le cancer bureaucratique se développe et le personnel de l’éducation nationale passe plus de temps à élaborer des rapports et des projets pour glaner quelques sous qu’à faire le métier pour lequel il a été recruté.
La paupérisation des enseignants en 30 ans a asséché les concours de recrutement de professeurs certifiés et agrégés. Faute de candidats, les exigences de recrutement sont revues à la baisse. Les professeurs titulaires en nombre insuffisant sont remplacés par des contractuels dont la formation n’est pas toujours à la hauteur de ce que les élèves devraient pouvoir trouver dans les établissements d’enseignement public.
La formation des instituteurs a été déstructurée pour les transformer en professeurs des écoles, seul moyen trouvé alors pour justifier la nécessaire augmentation de leur salaire qui n’avait pourtant pas besoin d’autre justifications que le travail excellent qu’ils faisaient dans l’ensemble depuis longtemps. Ils étaient correctement formés dans les écoles normales pour donner aux élèves de l’enseignement primaire ce dont ils avaient besoin pour disposer des savoirs fondamentaux. Aujourd’hui, ils doivent être titulaires d’un master d’une discipline quelconque sans plus disposer de la formation nécessaire à l’exercice du métier réel qui est le leur. L’évaluation du niveau des élèves en 6e témoigne de façon éloquente du fiasco de cette politique de gribouille.
En ce moment même on fait perdre un temps considérable à des dizaines de milliers d’enseignants pour qu’ils adhèrent à des contrats leur permettant de gagner quelques sous de plus moyennant des charges de travail supplémentaires qui les éloigneront de l’enseignement, tout cela pour ne pas procéder à une réévaluation urgente, nécessaire et importante du salaire des enseignants pour redonner de l’attractivité à ce métier.
Enfin il faudrait limiter l’interventionnisme des familles dans la vie des établissements scolaires, garantir aux enseignants la sérénité dans l’exercice de leur métier qui est d’abord celui de transmettre des connaissance et non d’éduquer au « « savoir-être, voire au « savoir paraître » si cher aux managers en tout genre. La France a besoin de jeunes qui possèdent parfaitement leur langue maternelle, ce qui est loin d’être le cas, qui disposent d’une formation scientifique solide, alors que nous sommes en plein décrochement dans ce domaine essentiel pour l’avenir du pays. Il faut épargner au système scolaire les demandes nouvelles incessantes de formation des élèves dans des domaines les plus divers, de la bienveillance à l’écologie vidée de tout contenu scientifique et réduite à un prêchi-prêcha moralisateur qui suscite plus souvent le rejet des élèves que leur adhésion.
Le résultat mesurable de toutes ces réformes visant soi-disant à démocratiser l’école, c’est que non seulement l’école ne réduit plus les écarts d’origine sociale, ne se contente pas de les reproduire, mais qu’elle les aggrave.
Madame Oudéa-Castera doit quitter le gouvernement
Mme Oudéa – Castera, ministre de l’éducation nationale depuis peu, a menti sur les raisons qui l’avaient conduite à inscrire ses enfants à l’école privée de luxe « Stanislas » plutôt qu’à l’école maternelle publique Littré. Cela est maintenant bien documenté et l’on ne comprend pas l’acharnement du président de la République et du Premier ministre à la maintenir à un poste qu’elle n’est pas digne d’occuper. Enseigner aux enfants à ne pas mentir est le premier devoir des adultes et devrait être particulièrement celui d’une ministre de l’éducation nationale.
La ministre a menti également dans un autre domaine, celui de ses rémunérations passées. Le Monde du 17 janvier indique qu’une enquête préliminaire a été ouverte contre le président de la fédération française de tennis pour avoir menti à la commission parlementaire sur les dérives des fédérations de sport, au sujet de la rémunération perçue par Mme Oudéa lorsqu’elle travaillait pour la FFT (soit 356 440 euros nets perçus en 2021 et un salaire annuel brut de 500 000 euros, prime d’objectifs comprise). Le président de la FFT a expliqué à la commission parlementaire qu’il n’y avait là rien d’exceptionnel et que le prédécesseur de Mme Oudéa gagnait à peu près la même chose. Or, il est apparu que le « pauvre » prédécesseur ne gagnait « que » 20 000€ /mois, une misère en comparaison du salaire de Mme Oudéa. Celle-ci a également menti lors de son audition par la Commission parlementaire, puis envoyé une lettre à ladite commission pour corriger ses déclarations mensongères, ce qui lui épargnera, semble-t-il, d’être elle-même poursuivie pour parjure.
Sa déclaration d’intérêt auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique ferait état de la possession d’une maison individuelle de 469 m² dans le 6e arrondissement de Paris pour une valeur de 960 000€, soit 2047€ le mètre carré dans l’arrondissement le plus cher de la capitale. Il y a là un art de la négociation immobilière qui mérite d’être partagé car le site seloger.com indique que le prix moyen de vente d’une maison à Paris est de 10 285€ le mètre carré ; encore s’agit-il d’un prix moyen et non d’une maison située dans le 6e arrondissement.
Madame Oudéa-Castera et donc complètement disqualifiée pour occuper une fonction ministérielle et particulièrement la responsabilité du ministère de l’éducation nationale après qu’elle s’est mise dans l’impossibilité d’être une interlocutrice disposant d’un minimum de crédibilité vis-à-vis de ceux qui en constituent l’essence même, les enseignants et leurs représentants travaillant dans l’enseignement public. Il faudrait donc qu’elle parte au plus vite.
Jean-François Collin
Le 18 janvier 2024
Références
(1)https://www.cairn.info/publications-de-Pascale-Petit–6745.htm