Fils de paysans modestes et mélomanes, il entama très jeune un travail en profondeur sur le folklore chilien. On ne pourrait résumer plus simplement ce qui allait naître sous le nom de Nueva Canción. Une musique populaire, assumant sa dimension politique, combinant le juste et le beau. Cette affirmation culturelle et sociale de l’Amérique du Sud hispanophone permit à deux des trois substrats du continent de se reconnaître : les héritages amérindiens et catalans, longtemps effacés à l’ombre de la domination castillane. Aboutissement musical du bolivarisme, la Nueva Canción était aussi une protestation contre la mainmise commerciale de l’industrie du disque nord-américain. Les instruments, le langage, les motifs, les arrangements, les paroles, la mélancolie, étaient anciens et modernes en même temps. Anciens dans l’écho qu’ils provoquaient et dans les origines des chanteurs et des auditeurs, modernes dans ses objectifs et ses capacités d’expression.
Ce bouillonnement culturel qui traversait l’Amérique latine des années 60 eut plusieurs figures de proue, et si Jara n’était pas le premier chilien à l’incarner, l’honneur en revient à la chanteuse Violetta Parra, il est celui dont le destin tragique est passé à la postérité. Dès 1961, il participa à des tournées internationales, tant à l’Ouest qu’à l’Est, pour chanter le Sud et ses identités plurielles. Membre de divers groupes de musique, ayant fondé le collectif, toujours en activité, Quilapayun, future voix des exilés chiliens, Jara avait fait le choix d’un engagement militant actif.
Membre dévoué du Parti Communiste Chilien, autant internationaliste que patriote, il s’engagea contre la guerre du Vietnam et l’impérialisme américain au nom du droit à vivre en paix, nom d’une de ses chansons les plus diffusées, El Derecho de Vivir en Paz. Partisan de la Unidad Popular, il se mit à son service, réarrangeant les paroles de Venceremos pour en faire l’hymne de la coalition à l’approche des législatives de 1973. Présent dans tous les événements de la révolution démocratique, dans les universités, dans les usines, en manifestation, il incarnait tout ce que la bourgeoisie fascisée avait juré d’abattre : le partage des richesses, le respect des amérindiens, le conflit assumé avec l’hégémonie états-unienne.
Les circonstances de sa mort, obscurcies par le régime qui voulait le faire disparaître, mythifiées par ses admirateurs qui voulaient le faire survivre, furent tragiques, comme évoqué plus haut. La suite ne fut guère plus humaine. Son corps fut exposé dans un stade où les opposants au coup d’Etat étaient emprisonnés.
La Nueva Cancion et la gauche chilienne, orphelines d’une de leurs figures tutélaires, ne tardèrent pas à honorer sa mémoire. Quiliapayun, en France pour la fête de l’Huma au moment du coup d’Etat, y resta en exil et contribua à propager ses chansons, de même que son ami Sergio Ortega, compositeur d’El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido et de Venceremos, qui dirigea en exil l’école de musique de Pantin.
Si la présence, en France, de nombreux exilés chiliens peut expliquer la mémoire particulièrement entretenue du coup d’Etat de septembre 1973 et la notoriété dont jouissent Jara et les chansons de la Nueva Cancion dans notre pays, il n’y a pas que ces raisons conjoncturelles pour l’expliquer. Le destin de Jara et les paroles de ses chansons ont une dimension universelle, celle de la lutte contre l’injustice, de la liberté d’expression, de l’engagement jusqu’au bout.
Ses chansons sont devenues des chants, régulièrement repris lors des mouvements de protestation chilien, comme en 2019 quand des milliers de manifestants ont chanté en chœur El Derecho de Vivir en Paz.
Caminando caminando,
Voy buscando libertad
Ojalá encuentre camino
Para seguir caminando(1)
En marchant, en marchant,
Je cherche la liberté
Pourvu que je trouve le chemin
Pour continuer à marcher
Malheureusement, le chemin qu’a trouvé Jara fut celui des milices pinochetistes. Ses héritiers doivent le poursuivre sans lui.
Références
(1)Caminando, caminando, 1970, album Canto Libre
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