« Le pacte de discrétion laïque »

La Cité

« Le pacte de discrétion laïque »

Entretien avec Jean-Eric Schoettl
« Jean-Eric Schoettl est conseiller d’Etat et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel (1997-2007). Il est, depuis les années 90, membre de la doctrine publiciste française, et également membre du Conseil des sages de la laïcité, rattaché au ministère de l’Education nationale. Avec son expérience juridique, il a développé plusieurs idées sur la laïcité. Dans cet entretien, il nous parle du « pacte de discrétion laïque ».
LTR : Quelles sont les différences strictement juridiques entre la laïcité, souvent qualifiée « d’exception française », et les régimes de séparation du politique et du religieux dans les autres démocraties libérales ?
Jean-Eric Schoettl :
Il est inexact de présenter comme une spécificité française la notion de laïcité. La plupart des pays occidentaux a séparé les Eglises et l’Etat et consacré la liberté de conscience. Très peu reconnaissent une religion officielle et ceux qui le font n’en tirent pas de conséquences considérables. En revanche, il est vrai que la notion française de laïcité a une portée juridique plus exigeante qu’ailleurs et qu’elle revêt une dimension philosophique, politique et coutumière plus substantielle. Il existe une laïcité à la française, ce qui ne veut pas dire que notre vision de la laïcité ne soit pas exportable. La non reconnaissance des cultes par la République conduit celle-ci non seulement à n’aider matériellement ou institutionnellement aucune croyance, mais encore à bannir du droit et des pratiques officielles toute référence religieuse, ou anti-religieuse. En cela, nous différons beaucoup des Etats-Unis où la référence religieuse est omniprésente dans un cadre officiel (« in God we trust », prestations de serment sur la Bible…), même si, comme en France, les subsides publics aux cultes – ou la préférence publique pour telle ou telle croyance- y sont proscrits. Là où le contraste est flagrant, c’est dans l’attitude de l’Etat à l’égard des revendications religieuses : aux Etats-Unis, la loi doit se plier à la sincérité des convictions. En France, elle doit leur rester indifférente.
LTR : Le bloc juridique laïque a-t-il grandement évolué depuis la loi de séparation de 1905 ou son régime est-il resté sensiblement le même ?
Jean-Eric Schoettl :
Il s’est maintenu et même renforcé en se constitutionnalisant. Le caractère laïque de la République est affirmé par le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale […] ». Cet article de la Constitution doit être rapproché : de son article 3, sur la souveraineté nationale  (« Aucune section du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice ») ; des articles 1er, 3, 6 et 10 de la Déclaration de 1789 (1) et du Préambule de la Constitution de 1946. De son côté, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie intégrante de notre « bloc de constitutionnalité », dispose que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». « Manifestation », « ordre public », « établi par la loi » : chaque mot compte. L’article 10 de la Déclaration habilite le législateur à intervenir pour « établir un ordre public » en matière de manifestation des opinions religieuses… Tant par son contenu que par sa place dans la hiérarchie des normes, le principe de laïcité, dans son acception juridique, est plus substantiel que la présentation édulcorée qui en est souvent faite depuis quelques années. Ce principe impose une obligation de neutralité aux personnes publiques et aux personnes privées chargées d’une mission de service public ainsi qu’à tous leurs agents, quel que soit leur statut. Il fait également obstacle à ce que les particuliers se prévalent de leurs croyances pour s’exonérer de la règle commune régissant les relations d’une collectivité publique avec ses usagers ou administrés. Par sa portée juridique, le principe de laïcité ferme la voie à tout projet concordataire. Il n’interdit pas que l’Etat dialogue avec les représentants des cultes, mais s’oppose à ce que soit transposée à la sphère publique française la pratique canadienne des « accommodements raisonnables » (2). La loi de 1905, c’est sa portée historique majeure, énonce trois prohibitions à son article 2 (« La République ne reconnaît, ne subventionne et ne salarie aucun culte »). La première prohibition impose une obligation de neutralité à toute la sphère publique. C’est sans doute cette composante du principe de laïcité qui est la plus spécifiquement française. Elle relève de notre « identité constitutionnelle », au sens que donne à cette expression le Conseil constitutionnel : elle est même à l’abri du droit européen. Les deux autres prohibitions ont une portée pratique considérable aussi, d’autant qu’elles ont pour corollaire que les collectivités ne subventionnent pas le fonctionnement des églises. Ces prohibitions ne font toutefois pas obstacle à certaines aides publiques indirectes aux activités cultuelles.
LTR : Quelles nouveautés la loi contre le séparatisme islamiste, ou « confortant les principes républicains », a-t-elle mises en place ?
Jean-Eric Schoettl :
La loi confortant le respect des principes républicains, en nouvelle lecture, forme un ensemble disparate qui ne touche qu’à la marge le cadre général qui vient d’être rappelé. Elle consacre au plan législatif des solutions déjà admises par la jurisprudence, notamment la neutralité des agents des services publics, y compris ceux gérés par une personne privée. Elle resserre quelques écrous en matière de police des cultes et de lutte contre le radicalisme et, surtout, elle tente de contrer le séparatisme et l’importation de pratiques contraires aux valeurs de la République (mariages contraints, inégalité successorale entre garçons et filles, certificats de virginité…). Concernant la gestion des associations culturelles, dont on sait que certaines sont financées par des pays opposés à nos libertés, la loi s’efforce de rendre plus transparente leurs financements. A plusieurs égards, ce texte reste cependant en-deçà du sursaut qu’on attendait après l’affaire Paty. Ainsi, gouvernement et députés sont restés frileux pour la dissolution des associations radicales, pour la fermeture des lieux de culte intégristes, ou encore pour les obligations de neutralité que les règlements intérieurs pourraient imposer aux usagers des services publics et au personnel des entreprises, ou pour la limitation de l’ostentation religieuse dans l’espace public. Tout en comportant des dispositions utiles, la loi confortant le respect des principes républicains est loin de réaliser l’objectif défini par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet : « faire prévaloir une conception élective de la Nation, formée d’une communauté de citoyens libres et égaux sans distinction d’origine, de race ou de religion, unis dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».
LTR : Indépendamment de son contenu juridique que vous venez d’expliciter, en quoi la laïcité s’inscrit spécifiquement dans la philosophe républicaine ?
Jean-Eric Schoettl :
La laïcité est devenue depuis plus d’un siècle, sur le plan coutumier, un principe d’organisation permettant de « faire société » en mettant en avant ce qui réunit plutôt que ce qui divise. Ce principe d’organisation a une dimension philosophique et pédagogique en lien étroit avec chaque item de la devise de la République. Le lien avec la liberté, c’est la construction de l’autonomie de la personnalité et de l’esprit critique, tout particulièrement à l’école, grâce à l’apprentissage des matières et disciplines scolaires, grâce aussi à la mise à distance des assignations identitaires, grâce enfin et surtout à ce droit précieux (particulièrement apprécié des enfants venus de pays où l’on est d’abord défini par son origine et sa religion) : le « droit d’être différent de sa différence ».   Le lien avec l’égalité, c’est la commune appartenance à la Nation et le partage de la citoyenneté, de ses droits et de ses devoirs.  Le lien avec la fraternité, c’est cette empathie qui me conduit, lorsque j’entre en relation avec autrui dans la Cité, à privilégier ce qui nous rassemble et à mettre en sourdine ce qui pourrait nous séparer. Principe d’organisation, principe philosophique, principe pédagogique, la laïcité a permis de bâtir un « Nous national » en brassant et non en segmentant, en valorisant tout un chacun comme citoyen et non comme membre d’une communauté, en refusant les ségrégations que connaissent les sociétés organisées sur une base ethnico-religieuse.
LTR : Est-ce pour cette raison que nos amis occidentaux n’arrivent pas à comprendre notre singularité laïque ?
Jean-Eric Schoettl :
Sans aucun doute. Au Royaume-Uni, une policière voilée ne choque pas : nos amis d’outre-Manche perçoivent plutôt cela comme un signe d’intégration de la population musulmane dans la société britannique. En France, ce serait une atteinte grave au principe de neutralité des agents publics et, au-delà de cet aspect juridique, un coup de canif dans le pacte républicain, une déchirure de notre ordre symbolique.
LTR : Vous parlez, dans plusieurs articles, d’un « pacte de discrétion » ou « pacte de non ostentation », pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Jean-Eric Schoettl :
Le contenu juridique du principe de laïcité, si dense soit-il, n’épuise pas la notion de laïcité telle que l’ont entérinée nos mœurs. Je veux parler des disciplines collectives qui se sont cristallisées en France depuis le début du XXème siècle autour de cette notion. Ces disciplines tiennent en une consigne, opportunément rappelée par Jean-Pierre Chevènement en accédant à la présidence de la fondation de l’Islam de France : la discrétion. Quelle discrétion ? Celle de l’appartenance religieuse dans l’espace public et dans les lieux ouverts au public. Un modus vivendi s’est enraciné autour de l’idée que la religion se situe dans la sphère privée et dans les lieux de culte et qu’elle ne doit « déborder » dans l’espace public que dans de strictes limites. Il est donc bien vrai que la laïcité, telle que nous l’avons pratiquée et intériorisée en France, au-delà même des implications juridiques stricto sensu de la loi de séparation, conduit la religion à résider dans le for intérieur, dans la sphère privée et dans les lieux de culte ou leurs dépendances, plutôt qu’à s’exprimer dans l’espace public et moins encore dans les services publics. Pour autant, est-il besoin de rappeler que l’Etat laïque, s’il est areligieux, n’est pas antireligieux ? Que les laïques réputés intransigeants, tels que ceux qui sont représentés au Conseil des sages de la laïcité (3), n’ont jamais rêvé de remplacer la chaleur des fois religieuses par un catéchisme républicain glacé comme un texte réglementaire ? En revanche, le marquage religieux de l’espace public ne peut que prendre à rebrousse-poil une culture laïque qui présuppose une Nation commune, avec ses valeurs, ses codes, sa mémoire en héritage indivis et ses affections partagées. Et qui, à l’école, dans la Cité, dans les relations professionnelles, privilégie ce commun sur les particularités natives.
LTR : Ce pacte implicite est-il en train de s’éroder ?
Jean-Eric Schoettl :
En matière de laïcité, l’usage n’avait pas besoin du renfort de la norme jusqu’à il y a une quarantaine d’années. En revanche, compte tenu de l’évolution de la société française, l’habitus laïque appelle aujourd’hui le droit à la rescousse. La dimension coutumière du principe de laïcité, ce qu’il est convenu d’appeler la « laïcité à la française », est en effet remise en cause, depuis une quarantaine d’années, par la combinaison de deux phénomènes. Le premier phénomène tient à l’évolution de notre conception des droits fondamentaux qui place les libertés personnelles, y compris religieuses, au-dessus des exigences collectives, au point de rendre très difficile la pédagogie inhérente à une règle commune assumée. Le second phénomène est l’arrivée d’une religion – l’islam- dont la pratique religieuse est, de facto, plus visible dans l’espace public que d’autres. Or tout un courant, que je qualifierais de révisionniste, voudrait – au nom de la lutte contre les discriminations –  faire oublier l’existence séculaire de cette culture laïque française. Rendent compte de cet affadissement les adjectifs dont le mot laïcité se voit désormais affublé : ouverte, inclusive, positive. Méfions-nous de ces adjectifs qui, telles des sangsues, ne se fixent sur un substantif que pour mieux le vider de sa substance. Le principe de laïcité est aujourd’hui très invoqué rhétoriquement, mais il est aussi très « flouté » sémantiquement, y compris par des instances officielles. Il devient un « mot valise ». Ce « floutage » fait de la laïcité un simple corollaire du principe de non-discrimination. On en arrive ainsi à inverser les interdictions découlant de la coutume laïque : ne devrait plus être prohibée l’ostentation religieuse à l’école ; devrait en revanche être interdite l’offense faite aux croyances, car les croyances sont consubstantielles à la personnalité des croyants et, par conséquent, l’outrage à une croyance est une injure à la personne des croyants. Et tout cela au nom d’une « laïcité inclusive » qui n’est jamais que la laïcité historique retournée comme un gant. La vérité historique est inverse. La vérité historique, c’est qu’un pacte de non ostentation s’est tacitement noué en France au travers du concept de laïcité. Il a permis d’enterrer la hache de guerre entre l’Eglise catholique et l’Etat. Il a garanti la cohabitation paisible de la croyance et de l’incroyance. Il a autorisé agnostiques et fidèles de diverses religions à partager leur commune citoyenneté dans une respectueuse retenue mutuelle. Chacun y a trouvé son compte. A cet égard, permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel. Dans mon enfance parisienne, au Lycée Carnot, nous enlevions et dissimulions nos médailles religieuses lors des classes de gymnastique, car nous avions intériorisé le pacte de discrétion. C’était, ressentions-nous, une question de courtoisie envers nos petits camarades qui étaient peut-être incroyants ou d’une autre religion. Nous ignorions d’ailleurs le plus souvent ces appartenances et ne cherchions pas à les connaître, alors qu’elles sont aujourd’hui souvent revendiquées dans les collèges et lycées de certains quartiers, chaque élève s’y voyant malheureusement parqué par ses petits camarades dans un compartiment ethnico-religieux. Au-delà de la séparation des Eglises et de l’Etat dans l’ordre juridico-politique, la laïcité à la française sépare le spirituel du temporel dans l’ordre coutumier des rapports sociaux. Et cette seconde séparation, plus vaste encore que la première dans ses implications, relève des mœurs et non du droit.
LTR : Que peut-on faire pour le rétablir ? La loi peut-elle agir sur les habitus ?
Jean-Eric Schoettl :
L’habitus ne se décrète pas. En revanche, la loi peut venir conforter un habitus encore vivace, mais qui réclame le renfort du droit ou, du moins, de ne pas être entravé par lui. Le législateur peut intervenir en matière de laïcité (au sens coutumier du terme), pour resserrer quelques écrous dans le sens des usages et sentiments majoritaires. Des lois ponctuelles sont intervenues à cet égard, par exemple celle de 2004 pour la prohibition de l’ostentation religieuse à l’école, ou pour la réaffirmation par une loi de 2016 (4) de l’obligation de non ostentation religieuse dans la fonction publique. La jurisprudence aussi peut agir en faveur de notre conception coutumière de la laïcité, en mobilisant des notions telles que l’égalité entre les sexes, le respect de la conscience d’autrui ou les exigences minimales de la vie en commun dans une société démocratique. Ainsi, la prohibition du voile faite au personnel de l’association Baby-Loup a été finalement jugée légale par la Cour de cassation (Cour cass, 25 juin 2014) eu égard au caractère très ouvert de la crèche aux familles d’un quartier marqué par une grande diversité ethnique et religieuse.
LTR : La laïcité peut-elle être un outil adéquat pour remédier aux différents défis qui touchent la société française ?
Jean-Eric Schoettl :
Le pacte de discrétion a longtemps été conçu – et vécu – comme la clé de l’intégration des nouveaux venus dans la nation française. La France disait aux arrivants : ce sont vos vertus et vos talents qui m’intéressent, non vos origines. Et les nouveaux venus se voyaient reconnus par la République en tant que personnes et ainsi libérés des enfermements communautaires auxquels les vouaient leurs sociétés d’origine. Je renvoie en ce sens aux témoignages de tant de nos compatriotes, enfants de l’immigration. Or cette culture laïque, vécue comme libératrice par des générations entières d’immigrants, est désormais regardée, par toute une mouvance indigéniste, au mieux comme un obstacle au « vivre ensemble », au pire comme une rémanence coloniale. La notion d’assimilation, inséparable de la laïcité à la française, et dans laquelle se reconnaissant quatre Français sur cinq, repose sur l’idée d’une culture commune et de principes non négociables. À l’inverse, le multiculturalisme considère que les différences culturelles sont par essence un enrichissement. L’engrenage de l’essentialisation, inhérent au multiculturalisme, piège l’individu dans ses particularités natives. Il tribalise la société. En congédiant le commun, il livre l’individu aux communautés. Or les pouvoirs publics – y compris l’exécutif actuel – n’osent pas opter franchement pour l’une ou l’autre thèse. Sous prétexte d’équilibre, la ligne officielle est schizophrénique. La preuve surtout (parce que la schizophrénie fait rage, là, sous un même crâne) par les propos du Chef de l’Etat qui, tantôt fustige éloquemment le séparatisme, tantôt estime que différence est une richesse…
LTR : Quelles évolutions, dans le droit, la politique ou la métapolitique, seraient selon vous viables et enviables ?
Jean-Eric Schoettl :
Le principe juridique de laïcité est d’un secours relatif face à ces évolutions du droit, qui donnent souvent l’impression de favoriser le communautarisme. Elles ont, sinon certes cet objet, du moins cet effet, comme le montre l’activisme contentieux, souvent victorieux, déployé au titre de la répression de l’injure, de la diffamation et de l’incitation à la discrimination de caractère « islamophobe ». Ce n’est d’ailleurs pas sur la laïcité que se sont fondés le Conseil constitutionnel, puis la CEDH, pour admettre – la seconde non sans réticence – la loi française interdisant l’occultation du visage dans l’espace public. Le législateur français ne s’était pas non plus placé sur ce terrain, car, même si était visé le port de la burka, le débat parlementaire invoquait principalement non la laïcité, mais les exigences minimales de la vie en société et la dignité de la personne humaine, particulièrement de la femme. Ainsi, lorsque l’opinion demande à ses élus de faire barrage au communautarisme par une application intransigeante du principe de laïcité, elle se réfère à une notion large de la laïcité qui est celle de la coutume, celle de l’histoire vécue de la séparation, mais non exactement celle du droit. Dans ces conditions, on peut évidemment songer à une initiative constitutionnelle. Pour « regonfler » la notion juridique de laïcité jusqu’à lui faire atteindre ses contours intuitifs, c’est-à-dire la discrétion dans l’espace et les lieux publics, il ne faudrait rien de moins qu’une révision constitutionnelle. Mais ce confinement aurait des effets disproportionnés sur les religions historiquement implantées en France ou sur l’islam tempéré, celui de la majorité des Français de confession musulmane, alors que le seul problème qu’on entend traiter est celui de l’islamisme radical. Ce qui semble éminemment souhaitable à une grande partie de nos concitoyens est donc hors de portée de leurs élus. Une autre voie, moins problématique, était ouverte par la proposition de loi constitutionnelle discutée au Sénat à la fin du mois d’octobre 2020. Elle consiste à inscrire dans le marbre constitutionnel, dans le prolongement de ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel le 19 novembre 2004, le principe selon lequel : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». Comme le précise l’exposé des motifs de la proposition, cette règle commune s’entend non seulement de la loi, du décret ou de l’arrêté ministériel, préfectoral ou municipal, mais encore du règlement intérieur d’une entreprise ou d’une association.

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La liberté chez Marx, un horizon inaccessible ?

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La liberté chez Marx, un horizon inaccessible ?

« Je déteste le communisme, parce qu’il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d’humain sans liberté ». C’est en ces termes que le penseur et révolutionnaire anarchiste Bakounine décrit et décrie la théorie politique élaborée par Karl Marx(1). Les anarchistes de la Ie Internationale ont toujours affirmé que son idée de la dictature du prolétariat conduirait nécessairement à un régime autoritaire, quand bien même serait-elle rouge. Paradoxal, lorsqu’on sait que Marx érige la liberté en principe essentiel du communisme. Tout l’enjeu de notre article est alors d’étudier le rapport du – ou des – marxismes avec la liberté et l’égalité, et l’articulation entre ces deux principes.

On considère, traditionnellement, que liberté et égalité sont antinomiques, intrinsèquement opposées, que la liberté – par exemple, de commerce – serait nécessairement freinée par l’égalité entre les hommes, et à l’inverse, que l’égalité serait rendue impossible par le libre-échange. Libéraux et socialistes(2) s’accordent généralement sur cette distinction, bien que les conséquences politiques qu’ils en tirent soient différentes. C’est cette aporie entre égalité et liberté que Marx entend dépasser. Chez lui, la liberté se définit comme la possibilité « de développer en toutes directions ses aptitudes »(3), de pouvoir sans entrave développer ses facultés. L’égalité, quant à elle, n’est pas exclusivement vue comme celle des conditions socio-économiques, mais aussi comme l’égale possibilité de jouir de cette liberté. Ainsi comprises, la liberté et l’égalité sont inconciliables en régime capitaliste pour l’auteur du Manifeste. Il s’évertue, dans ses écrits, à développer leur articulation à l’aune d’une révolution communiste.

En système capitaliste, l’impossible articulation entre égalité et liberté

Posons les fondements de notre réflexion. Chez Marx, le capitalisme est défini, entre autres, comme la division du travail résultant du mode de production qui distingue les possédants – ou les bourgeois – et ceux qui ne possèdent que leur force de travail – les prolétaires. Cette structure sociale entraîne, selon la pensée marxiste, l’accaparement, par les capitalistes des moyens de production, de la plus-value issue du travail des prolétaires. Les travailleurs sont « exploités » parce qu’ils sont payés non pas pour leur apport réel à l’entreprise, mais pour leur force de travail. En découle une double aliénation de l’homme par le travail : il n’est pas maître du circuit de production – en raison de la division du travail, et donc du travail à la chaîne – ; il n’est pas non plus propriétaire du fruit de son travail. Ainsi, le mode de production capitaliste favorise-t-il les propriétaires des moyens de production, qui voient le capital se concentrer progressivement entre leurs mains. La grande masse de la population ne peut donc pas développer ses aptitudes librement. Elle n’en a ni le temps, ni l’énergie, là où les bourgeois en disposent à outrance. Pas de liberté, ni d’égale possibilité du déploiement de cette liberté.

Il est paradoxal de constater que l’exploitation capitaliste coïncide si bien avec une ardente promotion, par les libéraux, des principes de liberté et d’égalité. Comment l’expliquer ? Indépendamment de l’aporie structurelle précédemment présentée, une entrave conjoncturelle s’oppose à la réalisation de ces principes : l’idéologie des droits de l’homme. Chez Marx, l’infrastructure, c’est-à-dire ce qui est déterminant en dernière instance, c’est l’économie(4). L’infrastructure, le mode de production économique donc, détermine les superstructures, c’est-à-dire les institutions mentales et politiques d’une société. En résumé, l’infrastructure capitaliste génère, pour justifier son existence, des superstructures diverses : religion (qui détourne les prolétaires de la réalité sociale), philosophie (notamment libérale, qui incarne la sacralité donnée à la propriété privée) ou encore la morale (qui met en valeur le mode de vie austère des plus pauvres par exemple). Ici, l’idéologie dominante, l’idéologie des dominants, sert à légitimer le système économique. La superstructure idéologique libérale légitime le mode de production capitaliste. Les bourgeois sont en position d’hégémonie, pour reprendre l’expression de Gramsci : ils investissent les sphères d’influence directe de l’ensemble de la population (école, presse etc). La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, rédigée en 1789, est pour Marx le paravent de l’idéologie bourgeoise. Dans son ouvrage La question juive, le penseur allemand prétend que ce ne sont pas les droits de l’Homme avec un grand H, mais ceux de l’individu bourgeois, égoïste, propriétaire, qui ne pense qu’à ses intérêts personnels déliés de la communauté humaine. La liberté n’est que celle de l’accaparement de la propriété, justement consacrée à l’article 17 comme droit inviolable et sacré. L’égalité proclamée n’est que formelle, dissimulant l’inégalité économique – entre propriétaires et prolétaires – et l’inégalité politique – entre gouvernants et gouvernés. Les prolétaires acceptent cette liberté et cette égalité au rabais sous l’influence du travail de légitimation de l’idéologie dominante. Prenons un exemple pour éclaircir le propos. Au XXIe siècle, le travail dominical peut-être revendiqué par le patron au nom de la liberté de travailler. « Liberté », donc. Or on sait bien que le travail du dimanche entraîne parfois, voire souvent, des conséquences sociales désastreuses pour les employés. Sous couvert de liberté se cache alors la domination patronale, sur laquelle l’employé n’a pas de prise, le rapport de force prétendument « libre » lui étant de fait défavorable.

La révolution communiste pour faire advenir l’égalité et la liberté de chacun et de tous

Marx, dans ses écrits dits « scientifiques » – notamment Misère de la philosophie, Manuscrits de 1844, L’idéologie allemande et le Capital – disserte en réalité assez peu sur la société communiste, ses efforts sont bien plus largement orientés vers la critique du capitalisme. Il nous faut donc mobiliser, pour la question, ses écrits politiques(5) ainsi que ceux d’autres auteurs marxistes.

Fermez les yeux, perdez tout sens du réalisme, et imaginez que la révolution prolétarienne soit advenue. Nous sommes donc dans la phase transitoire qui a fait couler tant d’encre – et de sang -, la dictature du prolétariat. Celle qui doit faciliter le passage d’une société socialiste (prolétariat au pouvoir) à une société communiste (abolition de la société de classes). Quid de la liberté ? Lénine nous dit que le passage du capitalisme au socialisme impose la dictature du prolétariat. Ce dernier a besoin de la puissance étatique pour écraser – symboliquement mais aussi physiquement – la bourgeoisie. « Démocratie pour l’immense majorité du peuple et répression par la force, c’est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple ; telle est la modification que subit la démocratie lors de la transition du capitalisme au communisme »(6) nous dit le meneur bolchévique. La liberté brille donc par son absence pendant la dictature du prolétariat, « ce n’est pas la priorité » nous diraient les léninistes orthodoxes.

Quid alors de l’égalité ? Marx n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un grand penseur de l’égalité. Il en parle assez peu, elle n’est que le résultat probable de la révolution communiste. Elle n’est pas un objet de science à ses yeux. Il l’évoque toutefois dans ses écrits politiques, par exemple dans la critique du programme de gotha. Prenons appui sur cela. En abolissant le mode de production, et donc les classes sociales, le prolétariat réunit enfin la communauté humaine, le peuple réunifié est vu comme l’horizon du communisme. Les droits bourgeois ne sont, eux, pas abolis, mais universalisés : chacun travaille pour soi ou en coopération, mais plus personne ne s’approprie injustement le travail d’autrui.

Un caractère liberticide inhérent à la révolution marxiste-léniniste

La révolution doit permettre le plein accomplissement de la liberté. Néanmoins, comme nous venons de le voir, il doit être précédée par la mise en place de la dictature du prolétariat. Cette première phase achevée, un monde radieux semble s’ouvrir à tous. Sa théorie de la liberté en société communiste est spéculative, mais a vocation d’après lui à s’inscrire dans la réalité future. De là découle l’essentiel examen empirique de sa théorie, sans pour autant tomber dans la facilité en jugeant le marxisme à l’aune des régimes totalitaires du XXe siècle.

Il paraît nécessaire d’apporter une vision critique sur les écrits de Marx pour appréhender cette hypothétique liberté sous un angle empirique, hors de la vision purement spéculative, en évitant de réduire la théorie marxiste-léniniste à l’histoire des totalitarismes du XXe siècle.

Les dires de Lénine sur l’effacement de la liberté durant la phase transitoire de la dictature du prolétariat posent une importante question : celle de sa durée. Admettons que la révolution soit, certes liberticide, mais sur une courte période. Disons quelques jours, voire semaines. Nonobstant l’appréciation que chacun se fera d’une révolution meurtrière mais libératrice, admettons qu’elle soit souhaitable pour le plus grand nombre. Mais il est probable que cette phase « transitoire » soit, en réalité, infiniment plus longue. Dans le troisième livre du Capital, Marx dans le texte : « le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposées de l’extérieur ». La liberté n’est rendue possible qu’en situation d’abondance. Elle n’est donc pas simple dépassement de la propriété privée, mais réduction drastique – on ne parle pas ici de 32h – du temps de travail alliée avec une forte prospérité économique. La liberté est donc un rêve eschatologique, un horizon quasi inaccessible. La dictature du prolétariat, suspension totale de la liberté, peut se prolonger sur plusieurs décennies (c’était d’ailleurs l’argument utilisé par les Soviétiques pour justifier leur régime autoritaire), voire plusieurs siècles.

La transition d’une société capitaliste à une société d’abondance communiste se déroule donc sur une très longue période dans les pays développés. Mais pour les pays peu ou pas industrialisés, la tâche s’annonce plus sévère encore. Or, chez Marx, la révolution doit être mondiale, tous les pays doivent être concernés par cette recherche de la société d’abondance. Cette vision très développementaliste du marxisme implique alors deux possibilités. Soit la révolution ne s’accomplit que dans les pays industrialisés, et alors l’on assistera à une guerre totale entre pays sous dictature du prolétariat et pays proto-capitalistes (les deux ne pouvant, dans la théorie marxiste, qu’être en état de guerre puisque les premiers doivent vaincre les seconds, représentants d’une certaine classe dominante) ; soit l’on contraint les pays peu industrialisés à se développer à marche forcée, à faire un « grand bond avant » liberticide et possiblement sanglant.

Tendre vers l’égalité sans sacrifier la liberté : l’exemple de la Commune

Si l’on accepte l’idée, que j’ai essayée de défendre dans cet article, que l’idée marxiste-léniniste est intrinsèquement liberticide, il nous faut repenser l’articulation entre égalité et liberté, redéfinir ces concepts hors de l’idiome marxiste. Pour cela, l’expérience ouvrière –celle du XIXe siècle principalement – elle-même nous offre un assez large champ théorique. Prenons la Commune de Paris, dont nous avons, il y a quelques mois, fêté le 150ème anniversaire. Marx lui-même, dans La guerre civile en France, admet que la Commune correspond, sûrement, à la phase socialiste de la révolution. Regardons de plus près ce que nos aïeux ont accompli(7). Des mesures en faveur de l’égalité sont prises par dizaines, à titre d’exemple : égalité entre les salaires des fonctionnaires et ceux des ouvriers ; élection des officiers dans l’armée ; mandats impératifs – et donc égalité entre gouvernants et gouvernés. De la même manière, les communards n’oublient pas, loin s’en faut, la liberté ! Est proclamé le principe d’autogestion, de liberté administrative des communes ou encore la liberté de conscience à travers la séparation des Eglises et de l’Etat. L’égalité et la liberté ne correspondent peut-être pas ici à l’idéal marxiste d’une société d’abondance et sans classe, mais ces principes restent, pour nous encore aujourd’hui, un horizon espéré, que nous sommes encore très loin d’avoir atteint. Comme une note d’espoir, la Commune de Paris permet de concilier l’égalité et la liberté. Son écrasement sanglant rend, toutefois, l’expérience fragile.

Références

(1) Dans Bakounine Mikhaïl, Écrit contre Marx, in Œuvres complètes, vol. III, Paris, Champ Libre, 1975,

(2) Au sens du socialisme des XIX et XXe siècles

(3) Marx Karl, L’idéologie allemande, Nathan, 1991, 127p.

(4) Ibid

(5) On entend par écrits politiques ceux qu’il écrit dans des contextes particuliers : après la révolution de février, après la Commune de Paris etc.

(6) Lénine, L’Etat et la Révolution, La Fabrique, 2012, 240p.

(7) Tombs Robert, Paris, bivouac des Révolutions. La Commune de 1871, Libertalia, 2016, 432p.

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Une chambre à soi de Virginia Woolf

Culture

Une chambre à soi de Virginia Woolf

Une chambre à soi, close, où rien n’interrompt le fil de la pensée, et cinq cents livres de rente. Voilà ce qui apparaît, aux yeux de Virginia Woolf, nécessaire pour devenir écrivaine. Si peu, et pourtant inaccessible pour la majorité des femmes au début du XXe siècle. Une chambre à soi(1) est un fabuleux essai qui aura marqué de son empreinte des millions de femmes – et d’hommes – depuis bientôt cent ans. Entrons dans l’univers woolfien.

Octobre 1928. Virginia Woolf, auteure britannique déjà reconnue, est invitée, lors de deux conférences données dans des collèges pour femmes, à disserter sur la place des femmes dans l’histoire de la littérature. De ces deux interventions s’ensuivra la publication, l’année suivante, de l’ouvrage ici abordé. Il en ressort une approche originale, éloignée de tout académisme assommant. Le ton y est caustique, franchement drôle et accrocheur.

L’écrivaine nous entraîne dans l’histoire, non pas des femmes, mais de la place des femmes dans la littérature. Celle-ci, presque exclusivement masculine jusqu’au XIXe siècle, nous offre à voir, il est vrai, une ribambelle de femmes célèbres : Andromaque, Bérénice, Chimène, la princesse de Montpensier, pour ne citer qu’elles. Pourtant, quelque chose cloche chez ces femmes. Non pas qu’elles soient toutes coulées dans le même moule – elles peuvent être dominantes, libres, vertueuses, orgueilleuses ou encore sentimentales – mais elles existent toutes en rapport avec l’autre sexe, par un lien souvent amoureux avec les hommes. Les femmes sont présentées comme des sujets doués uniquement de sentiments amoureux. Virginia Woolf nous met au défi de trouver dans un livre publié avant le XIXe siècle une conversation entre deux femmes n’évoquant aucun homme.

Chez les philosophes, la question de « la femme » a également pris une place prépondérante. Bien souvent, la misogynie est de mise, et se fait même plus cruelle que l’esprit du temps. Mais passons, nous dit Virginia Woolf. Ce qui la frappe, chez tous ces penseurs spécialistes – ironie mordante – de la femme, c’est l’incohérence. Aucun ne pense la même chose. Pour certains, elle est naturellement inférieure, incapable de quoi que ce soit, condamnée à la médiocrité. Pour d’autres au contraire, elle a été mise en état d’infériorité en raison d’un manque d’éducation, et est tout aussi capable de grandes choses que n’importe quel homme. Les contradictions ne s’arrêtent pas là, bien au contraire ! Les uns décrivent la femme comme insensible, manipulatrice, calculatrice, les autres comme sentimentale, irrationnelle, passionnée. Et Virginia Woolf de moquer, à raison, cette inconstance vis-à-vis des femmes caractéristiques des « grands » esprits.

Après cette grande fresque historique, l’auteure se concentre sur le XIXe siècle, période charnière pour la place des femmes dans la littérature. L’alphabétisme progresse, lentement mais sûrement, mais leur situation reste désastreuse. Les plus pauvres travaillent d’arrache-pied, et celles qui ont la chance d’être aisées n’ont, contrairement à ce que l’on pourrait penser, que peu de temps libre. Elles doivent recevoir, aller aux réceptions, singer les codes de la haute société – c’est-à-dire discuter de tout et de rien, surtout de rien, avec d’autres femmes de même condition. Pour celles sans le sou, la situation est pire encore. Virginia Woolf développe un exemple fort significatif. Imaginez la sœur de Shakespeare avec un talent similaire au sien. Elle n’aurait pu poursuivre des études très avancées – c’était formellement déconseillé aux femmes. Qu’elle apprenne seule, qu’elle lise des livres de son côté ! me direz-vous. Admettons. La voilà désormais érudite, prise d’une terrible envie d’écrire. Elle n’a que peu de temps libre pour elle – relations mondaines obligent -, mais concédons qu’elle use de son peu de temps libre pour écrire. Fureur de son père ou de son mari s’il l’apercevait ! Les femmes ne doivent pas écrire, elles ne sont pas « faites » pour cela. N’ayant pas de bureau personnel où travailler en secret, il devient impossible pour la sœur de Shakespeare d’exprimer son talent. Son désir, voire son besoin d’écrire, est brimé.

Au XIXe siècle, la chose reste encore ardue. Virginia Woolf prend l’exemple de Jane Austen, la fameuse auteure d’Orgueil et préjugés. Comment faisait-elle, elle qui n’était au demeurant pas de milieu aisé ? Figurez-vous qu’elle écrivait, par intermittence, dans le salon : salle de réception, salle centrale où transitent tous les membres d’une famille. Mais, rappelons-le, une femme ne doit pas écrire ! Alors Jane Austen griffonnait quelques phrases, sur une mince table, quand personne ne la voyait, quand personne n’était dans la pièce. Dès que quelqu’un apparaissait, elle dissimulait dare-dare sa feuille sous de la paperasse administrative. Difficile, dans ces conditions, d’exprimer son plein potentiel artistique.

De là découle l’aphorisme de Woolf : pour être écrivaine, il suffit de cinq cents livres de rente (de quoi vivre sans travailler) et d’une chambre à soi (pour écrire sans être dérangée). « La liberté intellectuelle dépend de facteurs matériels », nous dit-elle. On ne saurait mieux résumer un livre qui nous rappelle, au XXIe siècle, tout le chemin parcouru pour l’émancipation des femmes, mais également tout ce qui nous reste à accomplir pour que cette liberté intellectuelle soit accessible à tous, et à toutes.

Références

(1)Titre que l’on préférera à l’ignoble traduction qui a donné un lieu à soi

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